Des chemins de traverse - 1e partie-chap 10 - Désemparée
Des chemins de traverse – première partie, chapitre 10 : discussions entre amis... bien avant la deuxième guerre mondiale.
Le contexte : Ludovic est définitivement embauché aux Forges, il a vendu sa ferme du Buisson à Mathurin, fils de José, meilleur ami d’Antouènn. Repas chez Jôzé, au lieu-dit La Sangle, le 7 juillet 1934. Participent à l’agape : Antouènn, Louizètt et ses deux enfants, Gouéno et Fonsinn ; Jèrmènn épouse de Jôzé et leur petite-fille, Lestinn. Petit rappel : Antouènn et Jôzé ont largemement dépassé la soixantaine, Louizètt 40 ans, Gouéno 20 ans, Fonsinn 14 ans et Lestinn 21 ans. La thématique de l’agriculture, ici abordée par Jôzé (en 1934...), fait écho à l’hymne à la nature publié le 28 décembre dernier sur ce site (Des chemins de traverse - Prologue-chapitre 2 – extrait) et sera reprise tout au long des opus de Bérécyntia.
Jôzé prend la parole :
« De notre côté, enfin je devrais dire du côté de notre fils, l’élevage des cochons est profitable, mais j’ai quelques doutes quant à la qualité de la viande… et puis ça sent vraiment mauvais ! Et que dire de l’épandage du purin de cochon dans les champs, surtout pour la qualité des nappes phréatiques ! Cela me fait peur ! Je ne sais trop comment vous exprimer mes pensées. En fait, tout me révulse et pas seulement les odeurs !
Je vois un homme, mon fils, qui a perdu toute sagesse, tout bon sens. Son seul objectif : produire toujours plus, peu importe la qualité. Je souffre quand je vois ces cochons parqués dans de petits enclos, avec si peu de terre à labourer ! Te rappelles-tu, Antouènn, autrefois nos cochons se promenaient en liberté et fouinaient partout, bouffant tout ce qu’ils pouvaient trouver : leur chair était vraiment savoureuse et très nourrissante.
Mon fils, aujourd’hui, sépare au plus vite les porcelets de leur mère et leur donne à manger un mélange de maïs et de je ne sais quoi. Leur seule relation à la nourriture est une auge : leur groin est devenu inutile et leur chair fade. Je ne suis pas contre le progrès et il faut bien nourrir les êtres humains, mais cette course enragée vers une exploitation toujours plus intense me laisse un goût acide dans la bouche. Je crains que la mécanisation toujours plus poussée de l’agriculture et l’exploitation toujours plus intense des sols nuisent à la santé de notre si belle nature… Mais c’est peut-être une réaction de vieux paysan conservateur…
— Tu ne peux pas dire ça, lui dit calmement Jèrmènn, tu as suffisamment œuvré sur notre ferme pour la moderniser !
— Oui, tu as raison, mais c’était pour rendre le travail moins pénible. Là, ce à quoi nous assistons, c’est sans doute le début d’une tout autre vision de l’agriculture, donc de la nature.
— Je partage ton analyse, ajouta Antouènn, et je pense comme toi : le progrès technique est une bonne chose en ce sens qu’il libère l’homme de travaux fastidieux, mais cela ne devrait pas se faire au détriment de la nature ni de l’homme. Pour en revenir à la discussion d’il y a quelques années, lors de la fameuse dégustation des écrevisses aussi rouges qu’était le visage de Gouéno, j’ai l’impression que cette incessante course au progrès, à la rentabilité que pratiquent Ludovic et ton fils, chacun dans son domaine, ne les rend pas plus humains ni plus abordables, au contraire ! »
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