Le calame des lutins, des elfes et des fées

Le calame des lutins, des elfes et des fées

Des chemins de traverse - 2e partie-chap 2 - Doutes

Doutes...

 

 

Nous sommes en pleine guerre : ce mercredi 8 juillet 1942, Fonsinn et Gouéno, son frère, se sont retrouvés à Saint-Méen-le-Grand. Fonsinn est infirmière à Mauron, Gouéno vicaire à Montfort-sur-Meu. Louizètt et Ludovic, leurs parents, ainsi que le grand-père Antouènn, sont restés aux Forges de Paimpont. Fonsinn annonce à son frère son amour pour Yves, évadé en Angleterre, pilote de la RAF, éjecté de son appareil à proximité de Gaël et soigné par Fonsinn au lieu-dit La Folle Pensée. Mariage civil prévu le 8 août 1942. Fonsinn a demandé à Gouéno d’organiser le mariage religieux le même jour. Après cette intense rencontre, Gouéno reprend son vélo pour rejoindre son presbytère...



Gouéno prit tout son temps pour revenir à Montfort. Il était tout simplement heureux de vivre ce moment si doux, si tendre, si familial avec sa petite sœur. Sans qu’il y prenne garde, le temps s’était couvert et le vent s’était levé. Heureusement pour lui, c’était un vent d’ouest : il n’avait qu’à se laisser pousser !

 

Il ne put s’empêcher de penser, avec un gros pincement au cœur, à sa mère et à Antouènn qui ne seraient pas là pour accompagner Fonsinn dans cette étape si importante pour elle. Sa mère devenue si gaie, si tendre, si complice, sa mère qu’il n’avait cessé de découvrir et qui devait souvent s’égarer dans les tristes brouillards de l’absence de Gouéno et Fonsinn, ses deux enfants. Et Antouènn, le grand-père, l’éveilleur, le fantasque, le trublion, le troubadour des croyances, l’initiateur, le grand respectueux de tout, des êtres, de la nature, son grand-père !

 

Il s’en voulait de ne pas chercher à les revoir, de temps à autre, à leur faire parvenir des nouvelles. Il savait, tout au fond de son être, qu’il avait peur d’affronter son affectivité, son besoin de tendresse ; il avait peur de se laisser aller, de laisser échapper quelque aveu sur l’inconfort de son statut de prêtre, sur la difficulté de ses relations avec son curé, avec l’Église en général. Une autre peur, plus obscure, peur qu’il avait du mal à regarder en face : Gouéno craignait, en allant aux Forges, découvrir en son père un collabo, voire pire, un milicien. Il préférait rester dans l’ignorance.

 

Pour apaiser sa conscience, il se promit d’organiser une grande fête, une fois la guerre finie, avec tous ces êtres chers qui habitaient son univers affectif : Yves et Fonsinn, les deux héros de la fête, Louizètt et Antouènn, Batiss et Ânn, Touanètt, Jôzé et Jèrmènn, Lestinn… Une bouffée de chaleur l’envahit brusquement à l’évocation de ce nom qu’il avait si souvent murmuré dans le noir de ses nuits.



Puis, tout d’un coup, le visage dur de son père vint chasser le minois tendre et espiègle de Lestinn.

Gouéno se surprit à longuement méditer sur cet homme qui était son père, le mari de sa mère, le père de sa sœur et qu’il ne connaissait qu’à travers un masque violent et fermé, lequel ne laissait s’échapper qu’un regard gris-bleu, sec et méchant.

 

Il buta longuement sur cette simple question : pourquoi est-il comme ça ?

Et, en une cascade ininterrompue, rugissante, bondissante, exubérante, les questions basculèrent dans le vide des non-réponses, baignant l’être de Gouéno d’un embrun acide :

 

Est-ce ton destin ?

Mais que veut dire “destin” ?

 

Pourquoi ce mal, cette méchanceté, cette violence, cet appétit de domination qui règnent en toi ? Pourquoi me fais-tu penser à la dictature nazie ? Pourquoi me fais-tu penser à l’horreur de la milice ?

 

Où est Dieu dans tout ça ?

Ce Dieu auquel tu ne voulais pas croire, ce Dieu que tu as rejeté, comme tu m’as rejeté ?

Moi qui professe l’absolue tendresse de Jésus, je n’arrive pas à imaginer sa posture face à toi, toi qui es mon père !

 

Pourquoi es-tu comme ça, toi que je ne sais même pas appeler PAPA !?

Quelle est ta liberté ?

Quelle est ma liberté ?



Ah, je rage et me désespère… rien ne colle avec ce que j’ai appris au Séminaire, avec ce que j’ai vécu jusqu’ici, tout de noir vêtu, toujours obséquieusement salué, toujours respecté par toutes “mes ouailles”.



Mais le pouvoir, ce pouvoir que tu as toujours si avidement cherché, ce pouvoir est là, aussi, tapi au fond de toutes mes bonnes intentions, lové dans mes prières, mes louanges, mes sermons, dans ce sacrement de pénitence que “j’accorde”…



Gouéno pédalait comme un fou,

trempé de l’acre sueur de la mort,

le visage inondé du sel de ses rageuses larmes,

 

il pédalait sans savoir où il allait, car il ne savait plus où il était, qui il était, qui était son père, qui était Dieu !



Brutalement, l’évidence envahit son esprit enfiévré :



En choisissant d’aller au Séminaire, de devenir prêtre, j’ai choisi un chemin à l’opposé de celui de mon père. Tout le travail que j’ai réalisé n’a fait que contribuer à m’éloigner de lui et surtout, oui c’est cela, à m’affirmer, haut et clair, différent de lui.

 

Et je l’ai toujours plus rejeté !

 

Et il m’a toujours plus rejeté !

 

Nous avons pavé nos deux chemins de notre seule certitude : je ne suis pas comme lui !

 

Prisonniers, tous les deux,

prisonniers, nous avons continué à cheminer

à l’exact opposé

vers nos brumeux lointains, le boulet du mépris au pied.

 

Dieu est vain dans cette histoire !



La pluie s’était mise à tomber, averse brutale et dense.

 

Gouéno s’arrêta tout net et,

 

jetant sa bicyclette aux orties du dégoût,

 

jetant sa soutane dans la fange du péché,

 

il se mit à courir,

 

fantôme,

 

nu comme Job,

 

ses os de Camarde trempés,

 

trempés de larmes,

 

trempés de rage,

 

trempés de glaise,

 

trempés de colère,



 

il se mit à courir sur la boueuse route,

 

la tête rejetée en arrière,

 

le regard planté dans les nuages,

 

les poings furieusement serrés, dressés vers le ciel :

 



Qui es-tu, toi qui dis être Dieu ?

Pourquoi te caches-tu ?

Pourquoi te tais-tu ?

Où te caches-tu en mon père ?

Qui es-tu en mon père ?

Es-tu en mon père ?



Y a-t-il quelqu’un ici-bas ?



Y a-t-il quelqu’un là-haut ?





27/01/2021
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