Le calame des lutins, des elfes et des fées

Le calame des lutins, des elfes et des fées

Des chemins de traverse - Prologue-chapitre 3 - extrait

Toujours tiré de mon premier roman « Des chemins de traverse », ce deuxième extrait du Prologue, chapitre 3 « La Fontaine de Jouvence », mêmes personnages et même lieu. Toujours la thématique de la Nature, traitée sous l’angle de l’Énergie, avec un peu de Fantaisie à la clef :

 

 

La Fontaine de Jouvence

 

Un mercredi soir de juin 1928, en toute fin de l’année scolaire — Gouéno venait d’avoir quatorze ans et terminait sa quatrième — Antouènn fut pris d’une violente quinte de toux, une toux grasse, expectorante, doublée d’une très grande fatigue. Il dut garder le lit quelques jours, le temps de pouvoir se remettre sur pied et battre à nouveau la campagne avec ses moutons. (Son gendre) Ludovic assura la garde du troupeau le jeudi et le vendredi puis exigea que son fils prenne le relais le samedi et le dimanche.

 

Il restait une semaine avant les grandes vacances. Antouènn allait déjà mieux, mais il toussait et crachait encore beaucoup ; il fut décidé que Gouéno n’irait pas au collège pour finir son année scolaire et serait chargé d’accompagner son grand-père, et ce jusqu’à la fin des grandes vacances. Pour la première fois de sa jeune existence, Gouéno eut envie de dire merci à son père.

 

Le grand-père intensifia alors ses échanges avec son petit-fils, tout heureux de cette écoute attentive, curieuse, éveillée et souvent impertinente. Il ne s’y était pas vraiment préparé et ce jeune visage l’obligeait à réfléchir davantage, à trouver une formulation tout à la fois précise et compréhensible par l’adolescent.

 

 

 

Toujours à l’ombre du vieux chêne des Landelles, il avait commencé en révélant à Gouéno tout ce qu’il avait vécu, ressenti, recherché, compris durant ses longues noces avec la nature. Il lui disait tout ce qui lui passait par la tête, à la manière d’un enfant qui raconte à sa mère, bredi-breda, sa semaine de vacances. Un mot revenait souvent : énergie ; les lieux d’énergie, sites mégalithiques, sources et fontaines, églises et chapelles, l’énergie des êtres, l’énergie des arbres, l’énergie des aliments.

« Tiens, je te parle de l’énergie des arbres ; eh bien, pose tes mains sur le tronc de ce chêne qui, par sa superbe frondaison, nous protège de l’ardeur du soleil. Sens-tu quelque chose ?

— Le tronc est assez rugueux…

— Et puis ?

— C’est plutôt tiède…

— Et ?

— Euh… Rien de plus, pourquoi ?

— Quand je pose mes mains, bien à plat sur le tronc, je sens toutes les vibrations qui le parcourent. C’est une sensation que j’ai découverte durant ma jeunesse. Je suis absolument certain que, peu à peu, ton corps découvrira tout cela ; et plus tu y feras attention, plus tu y seras sensible. Auparavant, pour le découvrir, il te faudra jeter hors de ton esprit cette absurde approche qui consiste à affirmer que les arbres, les plantes en général, que les animaux, les pierres, l’eau, l’air sont de simples éléments matériels d’une nature au service de l’homme. »

 

Il lui avait également expliqué le rôle de certains « artisans » de l’énergie : druides, moines, compagnons-bâtisseurs, prêtres, sourciers, rebouteux. À cette liste un peu hétéroclite, il avait ajouté un autre type d’artisan, dont l’évocation ne manqua pas d’intriguer Gouéno :

« Malheureusement, tu n’as pas connu ta grand-mère, puisqu’elle est morte en mettant ta maman au monde. Eh bien, nous avons été mariés par un religieux, un père jésuite qui était l’oncle de ma femme. Ce Père enseignait dans un établissement à Vannes, Saint-François-Xavier, si ma mémoire est bonne. Il était revenu d’un long voyage de mission en Chine. Là-bas, nous avait-il alors raconté, il avait rencontré et appris à connaître des praticiens qui exerçaient une médecine très spéciale, fondée sur ce que ces toubibs appelaient des méridiens et le long desquels circulerait de l’énergie. Malheureusement, je n’ai pas pu en savoir plus sur cette médecine particulière : il est reparti en Chine après notre mariage et je ne l’ai jamais revu. Tous les gens à qui j’en parlais autour de moi ricanaient en me traitant de sorcier. Je n’avais aucun moyen d’aller plus avant sur ce sujet. C’est dommage : je suis convaincu qu’il y a quelque chose de vrai dans cette sorte de médecine !

« Je me souviens bien de cela, car je commençais, à l’époque, à percevoir des vibrations dans mon corps, dans certains lieux bien précis, tels que des sites mégalithiques. Vois-tu, non loin d’ici, à l’est de la Brousse Noire, à proximité de la Sangle, là où habite mon vieil ami Jôzé, il y a un ensemble de très anciennes pierres couchées. J’y étais venu, lorsque j’étais un gamin de ton âge, avec le frère de ma grand-mère paternelle, un peu sorcier. Il m’avait beaucoup intrigué en me racontant deux histoires que j’avais trouvées un peu bizarres… Il m’a dit avoir trouvé, à cet endroit, une petite trompe de corne qui, d’après lui, avait été fabriquée par de petites créatures appelées Kornikaned, souvent confondues avec les Korrigans, tu sais, cette sorte de lutins qui, dit-on, vivent en Bretagne. Je n’ai malheureusement jamais pris le temps d’approfondir ce sujet, car j’ai été complètement subjugué par ce qu’il m’a ensuite raconté !

— Mais tu en as déjà vu, des Korriganed ?

— Des Kornikaned, pas des Korriganed ! Non jamais, mais comme pour le parfum de muguet que tu ne peux sentir si tu es enrhumé, ce n’est pas parce que tu ne les vois pas qu’ils n’existent pas.

— Et alors, que t’a-t-il raconté d’autre ?

— Il m’a pris par la main et m’a emmené à un endroit assez plat, de forme plutôt rectangulaire et situé vers le milieu des pierres allongées, m’a lâché la main, m’a demandé de me taire, de laisser pendre mes bras, de fermer les yeux et de ne plus bouger. Il s’est alors éloigné de quelques pas…

— C’est tout ?

— Oui, c’est tout : il ne m’a rien dit de plus et m’a laissé là, les bras ballants. Les yeux fermés, tout le reste de mon corps était attentif : je percevais tous les bruits de la forêt, toutes les odeurs végétales et animales, toutes les caresses tièdes de l’air. Puis, petit à petit, j’ai ressenti quelques picotements qui envahissaient mes mains, comme un léger fourmillement. Je les ai secouées, mais sans succès : les picotements continuaient. Je me sentais bien. Au bout d’un petit moment, j’ai ouvert les yeux : à une dizaine de pas de moi, mon grand-oncle me regardait en souriant. Je lui ai parlé de ces étranges picotements. Sans s’étonner de rien, il m’a dit que j’avais expérimenté un flux d’énergie, que ce serait bon pour moi de recommencer régulièrement et d’affiner cette sensibilité. Puis nous sommes revenus à la Saudrais, là où j’habitais avec mes parents et mon petit frère, Batiss.

— Et alors ?

— Eh bien, chaque fois que j’allais en forêt, chaque fois que je tombais sur une vieille chapelle plantée là en pleine nature, j’allais vérifier que cet étrange phénomène se reproduisait bien. Un jour, je t’amènerai à la Folle Pensée, un tout petit hameau accroché aux collines de la forêt de Paimpont, non loin de la Saudrais : il y a, de ce côté là, un magnifique lieu énergétique. Plus tard, j’ai appris à percevoir cette manifestation de la Nature au contact des arbres, à proximité immédiate des sources. J’ai appris à soigner de légères brûlures, de petites entorses, des rhumatismes, des maux de tête, en faisant ce qu’on appelle des passes, c’est-à-dire dessiner de légères caresses à quelques centimètres au-dessus de la zone douloureuse. J’ai appris d’autres choses également, mais je t’en parlerai plus tard.

 

J’ai lu tout ce que je pouvais lire à ce sujet, j’ai découvert l’association des termes énergie et vibration. Et j’ai continué à m’instruire, à découvrir. La nature est vibration et il arrive qu’il y ait une accentuation de ce phénomène. Si je sais faire le vide en moi, c’est-à-dire balayer mes soucis, mes joies, mes peines, mes idées, je me rends disponible, à l’écoute : il s’établit ainsi une connexion entre mon être et les vibrations externes ; parce qu’il y a vide, il y a perception : les vibrations dans une église, autour d’une fontaine, la pulsation d’un arbre, les vibrations d’une main lorsqu’elle effleure un endroit endolori. Quand je perçois les manifestations de ces vibrations, que l’on appelle des flux énergétiques, je sens une accélération des vibrations de mon corps

 

« Chacun a son ressenti et, s’il sait l’écouter, peut l’utiliser, pour transmettre quelque chose. »

 

Au même moment, il sembla à Gouéno qu’un léger murmure s’échappait du trou de mulot d’entre les racines et lui susurrait :

« Écoute bien ton grand-père et si tu veux en savoir plus, fais-toi tout petit et viens me rejoindre… »

Gouéno, intrigué et légèrement inquiet, aurait bien voulu interrompre son grand-père, mais il craignait de se rendre ridicule. 

 

De temps à autre, Antouènn interrompait son flot de paroles : il ne lui était pas facile d’expliquer tout cela à un adolescent de quatorze ans et les mots arrivaient maladroits, empruntés, à tâtons.

« C’est d’autant moins facile, bougonnait-il en lui-même, qu’il n’y a pas moyen de démontrer que c’est vrai, c’est mon ressenti, tout mon être dit que c’est vrai, que c’est la réalité, mais comment permettre à mon petit-fils de se faire sa propre opinion, sa propre expérience ? Est-il sensible, est-il ouvert ? Il me faut partir de la nature, de ce qu’elle offre. »



29/12/2020
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