Le calame des lutins, des elfes et des fées

Le calame des lutins, des elfes et des fées

Des chemins de traverse - 2e partie - Journal de Ludovic, cahier n°2

Les grains de sable de la Voie Lactée

 

 

Le contexte : Ludovic, père de Gouéno, a été rappelé sous les drapeaux en septembre 1939. Suite à de nombreux déplacements de son unité d'affectation durant cette période ahurissante de la "drôle de guerre", il se trouve en garnison au Crotoy, en baie de Somme. Y rencontre celui qui deviendra son ami, Albin. Premier échange "musclé", autour d'une table un peu isolée du mess des sous-officiers et durant lequel Albin décrit calmement tout ce que la personnalité de Ludovic lui inspire... Les prémices d'une révolution intime...

 

 

 

Je suis resté longtemps silencieux, partagé entre l’idée de foutre le camp, une curiosité insidieuse qui suggérait d’aller un peu plus loin et une espèce de satisfaction peu avouable d’être l’objet d’une telle attention. Le bruit des mastications, des déglutitions, les blagues lourdes et le rire épais des autres, l’atmosphère enfumée de la grande salle à manger, tout m’insupportait, tout participait du tumulte qui agitait mon esprit. Hébétude et rage.

 

À cet instant précis, j’ai perçu, puis entendu, puis écouté un étrange murmure, doux et paisible, immergeant tranquillement, perfidement, savamment, inexorablement mon être tout entier. Un bain de douce fraîcheur, une joie, oui une joie, timide, mais tenace — le sourire de Louizètt au tout début de notre rencontre.

 

« Partons d’ici et allons nous promener, je ne supporte pas cette ambiance ! »

 

Le temps était froid, il faisait nuit déjà. Nous suivîmes le bord de mer, vers le nord. La marée était haute. Sans réfléchir, j’obliquai brusquement à droite pour rejoindre le sommet d’une petite dune. Pour prendre de la hauteur ? Oui, sans doute...

 

Un léger souffle venu de nulle part venait lécher les oyats, bien ancrés sur la dune. La lune, à laquelle il manquait un croissant, mirait sa lumière blafarde et tremblante sur la houle noire, calme et majestueuse. Là-haut, très haut, très loin, la Voie Lactée martelait de ses sabots une longue voie romaine, pavée de mille et mille questions, vers je ne sais quel avenir, vers je ne sais quelle lumière.

 

Et l’obscurité régnait dans ma tête… et je ne savais plus où était l’étoile Polaire…

 

Retour sur le chemin de l’eau sombre et bruissante.

 

Chuchotis du ressac des questions ressassées.



23/04/2021
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